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Katherine Mansfield, « exilée de la santé » à Menton

Retrouvez tous les épisodes de la série « Femmes sur fond d’Azur » ici.
Je flotte, abandonnée au mouvement des vagues. J’ai autant de pouvoir de décision qu’une algue… Je suis venue tôt, avant la montée de la chaleur. Cela qui faisait fuir les hivernants. Les températures estivales, aggravées d’humidité, étaient qualifiées de malsaines. Mais jusque-là, jusqu’au début de la « mauvaise saison », les séjours sur la Côte d’Azur étaient associés à des notions de santé. La douceur du climat semblait exister pour conforter les bien-portants dans la solidité de leur état et procurer aux malades l’espoir d’une guérison. Une conviction assez forte pour que la reine Victoria (1819-1901), sur le point de mourir, sur l’île de Wight, en pleine tempête de janvier, ait soupiré : « Ah ! si seulement j’étais à Nice, je guérirais. »
Guérir, tel est le but de nombre de voyageurs atteints du fléau fatal de la tuberculose. Ce sera aussi celui désespérément recherché par Katherine Mansfield (1888-1923) lorsqu’elle aura franchi, comme elle l’écrit dans une lettre, « la frontière du pays des ombres que nous habitons, nous, les exilés de la santé ». Un exil terrible où elle est peu à peu reléguée, en contraste avec l’exil joyeux pour lequel elle a opté à 19 ans, et qui lui a fait quitter sa ville de naissance, Wellington, la capitale de la Nouvelle-Zélande (alors colonie de l’Empire britannique). Quarante jours sur mer. C’est beaucoup. C’est peu aux yeux de la jeune rebelle qui n’a cessé de se battre contre l’esprit bourgeois de sa famille, contre son père qui lui interdit, en dépit de son don éclatant, la poursuite d’études de violoncelliste, contre sa mère, rigide et résignée, l’image même de la femme qu’elle refuse de devenir. Katherine Mansfield, née Kathleen Beauchamp, a publié son premier texte à 18 ans. Un début discret pour une carrière littéraire dans laquelle elle désire s’affirmer en Angleterre.
Aussitôt à Londres, la jeune fille se lance dans la bohème. Avec ses cheveux coupés à la garçonne, son accent, son talent pour la danse et le chant, son goût pour les bars, les vêtements aux couleurs vives, ses manières directes, elle attire et choque à la fois. Dans une société bourrée de principes, la Néo-Zélandaise, qui a eu des amitiés avec les Maoris, apparaît exotique. Katherine Mansfield, elle, n’a qu’un principe : sa dévotion à l’art. Pour le reste, elle suit ses impulsions. Et elle va payer très cher – du prix de sa santé, c’est-à-dire de sa vie – l’abîme qui la sépare du comportement alors autorisé pour les femmes. Si jeune, elle subit une fausse couche, une brutale opération (ovariectomie), une maladie vénérienne (non détectée, qui la fera souffrir toute son existence de ce qu’elle croit être un rhumatisme) et, enfin, la tuberculose. Elle a un premier mariage, bref – elle se sépare le lendemain de la nuit de noces –, puis un second avec un homme timide et renfermé, critique littéraire, John Middleton Murry, qui demeurera, parmi ses rencontres avec D. H. Lawrence ou Francis Carco, son interlocuteur fidèle. J’ai tant « d’ennemis » à combattre, se plaint-elle à propos de ses maux. Mais l’Ennemi, à l’origine de sa rapide destruction, est le puritanisme. Katherine Mansfield fut, comme Oscar Wilde, une assassinée de la société victorienne.
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